Au hasard de mes promenades sur internet, je suis récemment tombée sur ce livre que je me suis empressée d’acheter. Roulements de tambour : la sophrologie aurait une face cachée et on ne m’a rien dit ? Je me suis mis en devoir de le lire – et de vous donner mon avis de sophrologue qui en vit la face visible depuis 17 ans.
A vrai dire, en parcourant la quatrième de couverture de l’ouvrage, je me doutais de ce que j’allais y trouver avant même de le lire : l’itinéraire d’une reconversion ratée.
Ceux qui s’attendaient à des révélations croustillantes, ou à une enquête sur les dessous maffieux d’une pratique occulte en seront pour leurs frais (j’envisageai dans un premier temps d’intituler cet article « La sophrologie sans culotte » - rapport aux dessous, mais j’ai dû moi-même renoncer à cet excellent jeu de mots). Hélas, rien de bien nouveau sous le soleil de notre auteure, qui se cache visiblement derrière un pseudonyme – un nom, caché, lui aussi.
J’ai eu des petits pincements au cœur en lisant dans la première partie de l’ouvrage les déboires de notre aspirante-sophrologue, car, de ses espérances folles à sa déconfiture finale, elle a malheureusement accumulé toutes les déconvenues et déceptions que j’entends ça-et-là. Et ce en seulement deux ans, ce qui est le temps habituel pour seulement faire décoller une activité qui démarre.
Elle dénonce (en vrac) : des formations qui délivrent des titres qui ne sont pas des diplômes d’Etat, des référentiels de certification propres aux écoles, des contenus de cours dont certains sont des reproductions de manuels accessibles au grand public, un examen où il faut « réciter par cœur », des stages stéréotypés, un métier sans réglementation, des écoles privées qui annoncent des débouchés extraordinaires, un marché saturé de praticiens, une méthode ignorée du grand public, des clients qu’il faut patiemment trouver et convaincre, rétifs à s’entraîner (les vilains !), une méthode, enfin, « sans validation scientifique »… Et imaginez : tout le monde peut devenir sophrologue ! Mais oui, nul besoin d’appartenir à une caste, ni à une élite ! Le statut d’autoentrepreneur est même égratigné au passage, au motif qu’il est « accessible à tous » (mais que fait le gouvernement ?).
Tout ceci est, peu ou prou, exact. Et surtout, tout le monde le sait.
J’ai moi-même fait plusieurs articles sur ces sujets*, notamment celui-ci, celui-là, et encore celui-là, qui a donné lieu à plus de cinquante commentaires.
Certains de ces travers ne sont pas l’apanage de la sophrologie, et sont partagés par d’autres métiers de reconversion dans l’accompagnement (analyse transactionnelle, Gestalt-thérapie, PNL, coaching, EMDR, EFT, hypnose non médicale…) où parfois le pire côtoie le meilleur. Ces méthodes sont principalement enseignées dans des centres de formation privés, ouverts à tout le monde sans pré-requis, avec des diplômes maison, et nécessitent un patient investissement pour se lancer, et surtout réussir. Toutes méthodes que notre auteure critique d’ailleurs vertement. On est souvent tenté de s’exclamer : « Mais que diable allait-elle faire dans cette galère ? ».
On pourrait cependant, déjà, à ce stade reprocher l’amalgame systématiquement établi entre toutes les écoles, tous les syndicats, tous les sophrologues… Tous ceux qu’elle vilipende à de nombreuses reprises sous le terme de « promoteurs de la sophrologie ». Ne retournons pas dans les guerres de chapelle mais déplorons ce grand fourre-tout, duquel « Lise Cothel » s’abstient toutefois de désigner l’organisme dans lequel elle a elle-même été formée (mais que des lecteurs avisés reconnaîtront sans peine), sans doute davantage pour des questions de diffamation que d’éthique.
Je suis formée à la sophrologie depuis 2003, et je l’exerce de manière quasi quotidienne depuis, dans une activité déclarée et tout à fait affichée. Entre mon exercice en cabinet, mes formations et mes interventions en entreprise, j’ai vu/formé/accompagné environ 4500 personnes. Je pratique la sophrologie pour moi depuis 1993, et j’ai eu l’occasion d’utiliser ses outils dans de nombreux domaines de ma vie. J’ai (un peu) de recul sur cette méthode.
Depuis une dizaine d’années, je supervise des sophrologues, étudiants ou en cours d’installation (et d’autres, déjà plus affirmés dans le métier). Mais, parmi les débutants, j’en ai entendu de ces déceptions, qui succèdent à des espoirs parfois utopistes ou des enthousiasmes aveugles (à défaut d’être aveuglés), tout séduits que ces nouveaux convertis ont été par certaines sirènes de la sophrologie.
L’auteure de cet ouvrage se qualifie elle-même d’« ex-sophrologue repentie », à la manière de ces maffieux qui ont choisi de défroquer, en dénonçant leurs ex-complices.
Or, une reconversion, même mûrement réfléchie, doit scrupuleusement s’évaluer et se préparer. Et Lise Cothel accumule les erreurs et écueils que n’importe quel professionnel lui aurait conseillé d’éviter si elle avait préalablement pris le soin de se renseigner – ne serait-ce qu’en parcourant des forums et autres groupes professionnels. Ou en lisant un ouvrage ciblé, comme celui de notre consœur Véronica Brown, Devenir sophrologue.
Ainsi, s’appuyant à de nombreuses reprises sur l’excellente enquête annuelle de notre non moins excellente collègue Sabine Pernet, elle démonte point par point tous les arguments de ses propres croyances et a prori. Idem pour les données (parfaitement publiques) qu’elle a pu recueillir auprès de feu l’Observatoire national de la sophrologie. Mais que ne l’a-t-elle fait plus tôt ? Car Lise Cothel a deux défauts : elle croit naïvement ce qu’on lui dit (elle le reconnaît elle-même, notamment page 9), et elle a de nombreuses certitudes préétablies, qu’elle se contente d’appliquer sans esprit critique (comme le fait de commencer par louer un cabinet à temps plein dès la fin de sa formation, par exemple). Mais tout ceci n’est, encore, que péchés de jeunesse.
Là où je n’adhère plus à son raisonnement, c’est dans la deuxième partie de l’ouvrage, où elle se lance dans une critique acerbe et systématique de la méthode en elle-même, de ses applications ou de son fondateur. Elle accumule les exemples hors contextes et les raccourcis. De déçue, elle devient aigrie, jetant le bébé avec l’eau du bain.
Ainsi, à tire d’exemple, les efforts méritants des Etats généraux de la sophrologie, pour uniformiser et professionnaliser les parcours de formation sont qualifiés de « non reconnus », au prétexte que certaines écoles refusent de se rallier à ce référentiel. Est-ce la faute de ceux qui l’ont créé ? Mêmes boulets rouges tirés sans ambages sur la future norme AFNOR qui, comme telle, sera appliquée, par définition, par ceux qui voudront bien y souscrire. Des arguments pour le moins spécieux.
Plus loin, il est asséné que la sophrologie serait « sulfureuse », « sectaire », avec un langage ésotérique qu’elle se plaît à railler (ferait-elle de même avec celui des médecins, quand un décibitus dorsal désigne la position allongée à plat sur le dos ?). Tout y passe… Nous autres « grands anciens », avons connu l’époque où la sophrologie était classée par la MIVILUDES (la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) parmi les organisations sectaires. C’est vous dire d’où on vient… Pourtant, a-t-on jamais entendu parler d’embrigadement massif par des sophrologues ? Ou d’abus de faiblesse généralisé ? On peut d’ailleurs souligner au cours de ce récit que, lorsqu’elle va se présenter aux médecins de la ville dans laquelle elle s’est installée, notre jeune sophrologue en devenir reçoit le meilleur accueil de ces praticiens. Personne ne lui a jeté de pierres en la traitant de sorcière. A titre d’exemple, il y a quelques jours encore sur l’antenne de France Bleue, le Dr Dominique Servant, psychiatre hospitalier au CHRU de Lille, préconisait encore la sophrologie comme « technique complémentaire » (au même titre que la méditation ou le yoga) dans la prise en charge des troubles anxieux dans cette période de pandémie. Nous autres sophrologues en activité ne considérons aucunement que nous pratiquons une « médecine alternative ». Nous transmettons les techniques pour lesquelles nous avons été formés, en nous adaptant aux personnes que nous accueillons.
Pas validée scientifiquement la sophrologie ? A voir, si l’on tient compte, par exemple, d’une étude publiée dans la revue European Annals of Otorhinolaryngology, Head and Neck Diseases en mai 2020, démontrant l’intérêt de la sophrologie dans la prise en charge des patients avec acouphènes. Plus globalement, et n’en déplaise à Lise Cothel, chaque année des dizaines de milliers de Français pratiquent la sophrologie en cours collectifs, en séances individuelles, dans des associations, des cabinets, des Maisons pour Tous (comme notre auteure, d’ailleurs), ou dans leur entreprise, avec une validation simple et directe : leur bien-être.
Faut-il que ce sentiment (« subjectif, forcément subjectif », aurait dit Marguerite Duras) que nous renvoient nos clients/élèves/stagiaires soit validé scientifiquement pour qu’il ait davantage de valeur ? Car, même en médecine, la « clinique » (le regard porté sur la pratique, qui repose directement sur l’observation du malade alité) a autant de valeur que la recherche fondamentale. Et la clinique – au sens étymologique du terme – est à la base de notre métier de sophrologue, de même que l’expérience. Mais pour cela, il faut sans doute exercer plus de deux ans pour s’en faire une idée concrète. La sophrologie, c’est souvent « la preuve par l’expérience » - et c’est aussi en cela qu’elle est une méthode psycho-corporelle.
Et cette expérience, c’est la découverte de ressentis, l’accès à un niveau modifié de conscience, l’évolution vers une conscience améliorée… C’est peut-être là que le bât blesse finalement, et le vrai nœud de ces vraies-fausses révélations. Car à plusieurs reprises, l’auteure reconnait, au fil de son expérimentation de la méthode, « n’observer aucune différence », n’avoir que des sensations fugaces… Elle considère la cohérence cardiaque, par exemple, comme une « simple astuce », reconnaît qu’à travers sa pratique personnelle de la sophrologie, elle n’a jamais ressenti d’état de conscience sophronique et doute de l’intérêt de l’état sophroliminal, « au bord même du sommeil » (cf. une longue diatribe en pages 112 et 113). On serait tenté de relever un fort besoin de contrôle, ou une difficulté à lâcher-prise, mais je m’abstiendrai d’établir le moindre jugement. Je constate.
Ce témoignage a le mérite d’exister, et il est aussi édifiant qu’intéressant – et par ailleurs bien écrit (il y aurait là la plume d’une enseignante que ça ne m’étonnerait pas). Il se positionne comme une mise en garde. Certes. Mais ce récit n’est basé que sur la courte expérience de son auteure et ne constitue qu’un point de vue, le sien. Mais si elle pensait ouvrir la boîte de Pandore (le nom de son éditeur), j’estime pour ma part qu’elle ne fait qu’en vider les poubelles. Cette face cachée n’a pas plus de validité scientifique que la méthode qu’elle prétend dénoncer. Chacun se fera donc son opinion selon son propre point de vue et vécu. Ma grand-mère disait : « Si tu n’aimes pas ça, n’en dégoute pas les autres ». C’est mon humble avis.
Laurence Roux-Fouillet, sophrologue
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